mardi 15 juillet 2014

L'échange


Puvis de Chavannes
                               L'échange                            
 I
J'étais un  habitant  de  vos terres tranquilles
L'un des vôtres
Comme vous javais  construit
Comme vous je partageais
Joies et peines , grisailles et jours  d'été
Et le pain quotidien et les  doux sentiments

Nos regards s'égaraient  parfois vers l'horizon
Mais nous restions fidèles  à  nos  attachements

Nous  écoutions ensemble  les vagues sur  la plage
Nos raconter   l'histoire   d'autres  lieux  parfumés
Une  mélodie sage  apaisant  nos désirs
Tournait les pages de nos vies
Nous voguions  sans tourments vers la fin de nos jours

J'étais  à vos côtés
Nous nous tenions les  mains
Confiants,  sûrs  de l'un et  de l'autre
 Disponibles  , attentifs,  prévenants et  généreux
Notre forêt  croissait
L'un  soutenait   l'autre
le second   s'appuyait   sur le bras  du  premier
La forêt  grandissait
Les vieux arbres en  tombant
prenaient  soin d'éviter les  jeunes  pousses fragiles
que nous avions nourries
d'une commune  tendresse

Tout aurait  pu  durer,
Non  pas l'éternité
Mais le  temps  imparti  à  chacun  d'entre  nous

II
Un  jour  que  la  mer   assombrie s'était  agitée
Sous un fort coup  de  vent   provoqué  par l'orage
Une barque   vint  s'échouer  sur  notre rivage
Au  fond  du  frêle  esquif   gisait  un corps  blessé
  marin  agonisant
Sans doute  avait-il    affronté toute la nuit
Les assauts furieux  de la mer  en colère
Nous  le recueillîmes, pansant  ses plaies
Rafraîchissant  son front  brûlant
Le délire   lui dictait  d'étranges discours
Dans  une  alternance de   cris  de  désespoirs
et de  profonds silence
L'angoisse  tordait  ses mains et  crispait  son  visage
La folie se lisait  dans ses regards,   hagards

Nos bains et  nos parfums  ne purent  dissiper
L'odeur de la mort qui  toujours l'enveloppait
Nos soins   cependant   calmèrent  ses blessures
La fièvre  en  le  quittant   emporta ses délires
Mais  toujours  la mort   suintait   de tous  ses pores
Un  silence  obstiné scellait ses lèvres muettes
Éludant  nos questions, repoussant nos avances
Toujours son  regard  fixé sur  l'horizon
il ne nous voyait pas , ne nous entendait  pas
Vous vous êtes lassés
Seul  je continuais à prendre soin de  lui
Il dénoua nos mains, tissa d'autres liens
et m'ouvrit  au mystère du chant de ses sirènes

Les dissonances couvraient nos mélodies
qui  bientôt  m'échappèrent
Des créatures  infernales sortait l' interminable  plainte
des âmes  torturées pleurant  la délivrance
Dans ce chant  des enfers  je conçus  son  martyre
je pressentais l'appel qui l'avait   capturé  
subjuguait son  esprit
le faisant  à nous tous  étranger 
à tout indifférent.
L'injonction au départ était  divine ,irrésistible,inéluctable..

Vous  m'avez retenu,  vous  m'avez  mis  en  garde 
Pourtant  à l'aube  d'une nuit  sombre   nous avons mis la barque à  l'eau
Et je suis  parti  avec lui

III

Avec  lui  j'ai  chevauché ses vagues de  désespoirs
contourné  les gouffres de ses contradictions
les tempêtes de ses amertumes menaçaient de nous engloutir
et les  rochers d'incertitudes ont labouré  notre  bateau
Après des jours d'errances
 une  terre nouvelle  est enfin apparue
Il a posé le pied sur  la  plage
 a fait le  tour  de l'ile 
Dans la foret qui  couvrait l'entière terre  émergée
Seul, il a pénétré.

Longtemps  j'ai attendu , le ciel  était  si noir 
et le soir  est tombé
L'air  s'est mis alors à vibrer 
Des clameurs  à vous glacer le sang se sont élevées
du coeur des arbres
Le sol tremblait comme ébranlé  par  les  transes 
d'une foule en délire, ivre de sacrifice
une violente illumination  de rouge et d'or 
soudainement a embrasé  le ciel
et l'obscurité  toute la nuit  à  combattu  la lumière
Un  peu  avant l'aube, le bruit a cédé  au silence
Puis le ciel  nocturne s'est effacé devant l'aurore

Il est sorti  de la foret
a traversé la plage
Ses haillons tombaient  un  à un sur le sable
Débarrassé de ses oripeaux  il  est remonté dans la barque
Sans  un  regard  en arrière  il  s'est  éloigné  dans la nacelle qui  filait à toute allure
happée  par un vent  démoniaque
Je l'ai vu disparaitre  puis  rien  , le vide et le silence 
 Je restais là et  je suis là 
mes bras portent  encore les marques de nos blessures
mes mains sont  encore  brulées du sel  de  nos longs jours d' errances
à mon  tour mes yeux sont  rivés sur  l'horizon 
Il m'a laissé  l'odeur  et le goût de la mort
Et   je vous ai  perdu, ô nos terres tranquilles
pour avoir suivi une chimère . 

  
William  Blake  ,Nabuchodonosor


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