dimanche 13 mars 2011

Aragon : "J'ai la méchanceté d'un homme qui se noie....."

 

 

Si  loin  d'Elena   que  ce poème   bouleversait  par   la tristesse  que lui  inspirait  son  auteur  ! Quel  malheur  , quelle  épreuve surhumaine  peut justifier  chez  un homme une telle  amertume  qu'il en vienne  à s'abandonner à des  idées  de vengeance ou  à la    méchanceté .

 La  force  d'un homme  est  précisément  dans  sa capacité  inverse  à préserver le meilleur  de lui-même en  dépit  des  épreuves.

Le malheur  n'autorise  jamais   la cruauté .

Dans l'intertextualité   , on sait   quel  épisode inspira   au poète ce  cri  de  révolte !!

  

Je traîne après moi trop d’échecs…

Je traîne après moi trop d'échecs et de mécomptes
J'ai la méchanceté d'un homme qui se noie
Toute l'amertume de la mer me remonte
Il me faut me prouver toujours je ne sais quoi
Et tant pis qui j'écrase et tant pis qui je broie
Il me faut prendre ma revanche sur la honte

Ne puis-je donner de la douleur Tourmenter
N'ai-je pas à mon tour le droit d'être féroce
N'ai-je pas à mon tour droit à la cruauté
Ah faire un mal pareil aux brisures de l'os
Ne puis-je avoir sur autrui ce pouvoir atroce
N'ai-je pas assez souffert assez sangloté

Je suis le prisonnier des choses interdites
Le fait qu'elles le soient me jette à leurs marais
Toute ma liberté quand je vois ses limites
Tient à ce pas de plus qui la démontrerait
Et c'est comme à la guerre il faut que je sois prêt
D'aller où le défi de l'ennemi m'invite

Toute idée a besoin pour moi d'un contre-pied
Je ne puis supporter les vérités admises
Je remets l'évidence elle-même en chantier
Je refuse midi quand il sonne à l'église
Et si j'entends en lui des paroles apprises
Je déchire mon cœur de mes mains sans pitié

Je ne sais plus dormir lorsque les autres dorment
Et tout ce que je pense est dans mon insomnie
Une ombre gigantesque au mur où se déforme
Le monde tel qu'il est que follement je nie
Mes rêves éveillés semblent des Saints Denis
Qui la tête à la main marchent contre la norme

Inexorablement je porte mon passé
Ce que je fus demeure à jamais mon partage
C'est comme si les mots pensés ou prononcés
Exerçaient pour toujours un pouvoir de chantage
Qui leur donne sur moi ce terrible avantage
Que je ne puisse pas de la main les chasser

Cette cage des mots il faudra que j'en sorte
Et j'ai le cœur en sang d'en chercher la sortie
Ce monde blanc et noir où donc en est la porte
Je brûle à ses barreaux mes doigts comme aux orties
Je bats avec mes poings ces murs qui m'ont menti
Des mots des mots autour de ma jeunesse morte

(Aragon) 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire