vendredi 8 juin 2012

Dürer et son temps


Encore  quelques  impressions   sur  ce  grand  peintre  qui  m’a  retenue   depuis  quelques  jours   et  tant  pis   (ou  tant  mieux) si  quelques  chercheurs   ont  récemment  révélé   quelques  aspects   plus  « potaches »   de  sa  personnalité  …

Grünewald  , son contemporain , fut  le  dernier  grand  peintre  gothique  en   Allemagne   mais  Dürer  fut  un  des  artistes  les plus  marquants  pour  assurer le  passage  du  Moyen Age    à  la  Renaissance .  Renaissance    à  la  manière  allemande   et  non  Italienne : si  au  Sud  elle    développa   un renouveau  au   paganisme  antique  ,   dans  la patrie  de  Dürer  elle   demeura  ancrée  dans le mysticisme  médiévale chrétien germanique .
Le système   féodal  avait   alors cédé   progressivement  la place    à  une  société de  riches  commerçants et  banquiers  qui  pèse  de  tout  son   poids sur  la politique   et  la création  artistique . C’est  la naissance  du  capitalisme privé avec  en  outre , la grande  invention  de  l’imprimerie    en  1439  qui    permet   la  diffusion  des  idées  anciennes  et  nouvelles ,  à  la  fois   vulgarisation  des  savoirs et  idéologies  nouvelles , provoquant  une  remise  en  cause  des institutions  traditionnelles   aussi  bien  politiques  que  religieuses . Des  conflits  latents   plus ou moins  contenus  éclatent  entre  les  puissants  seigneurs , l’église  et  les nouveaux  bourgeois ,  à l’origine  de  rebellions    idéologiques   à  caractère  social   ou religieux  avec   soulèvements  paysans  . En Allemagne  la crise  débouche  sur   le  grand  bouleversement  de  la  Réforme (1521-1555) avec  Luther  pour  chef de file , lequel  abandonnera   ses   idées   progressistes dans   le  domaine   social  pour  les  limiter au  spirituel.   .  
C’est  dans  ce  climat  que Dürer  grandit  et  ce  serait  regarder  superficiellement le  peintre   que  de  le  détacher  de   ce  contexte  social  . On  peut être  surpris par  l’égocentrisme qui  émane  de  ses  autoportraits   en opposition  avec  ses œuvres  plus  tardives  ou   ses   écrits  empreints  d’humilité   , de   religiosité et  de  sagesse et  enfin   de   pessimisme  mélancolique.
Dans  une   ville  de  tradition  morale  et  intellectuelle   ,l’artiste   jusque  là maintenu   en condition  de     vassalisation  vis-à-vis   de ses  protecteurs  ou commanditaires  , est  séduit  par    l’humanisme  florissant  qui   situe  l’homme  au  Centre  du  monde (Si  Dürer  fut   ami  de  Luther   il fut  aussi  celui  d’Erasme) entrainant  ce   besoin  d’affirmer son  identité,  ses libertés    notamment    créatrices ,  sa propre  personnalité   et  sa « propriété  intellectuelle » ,souscrivant à  la valorisation  de  l’individu  qui  se  juge  méritant au-delà   de  son  appartenance  à  une  catégorie sociale  ou  à  ses  origines   (Dürer  était  d’origine  hongroise  et  fils  d’orfèvre  ) .C’est  ce que met en  évidence  les  signatures régulières    et  références scrupuleuses  à ses propres œuvres  . Ses  nombreux autoportraits  en  sont  une  autre preuve.
Son  dernier  autoportrait  il  le  fait  à   28 ans mais longtemps  encore  il  se   représente  dans  ses  tableaux , identifiable  sans  ambiguïté. . La qualité  de  son trait  , son  goût  du  détail  , de  la précision, des motifs  décoratifs    qu’il  tient  du  réalisme   introduit  par  ses   prédécesseurs,  lui  permettent   d’offrir une  image  idéalisée  de  lui-même  qui  s’ajoute ,  à n’en pas  douter   à son  charme  naturel. Il  est  beau  ,  il   le  sait , il  l’affirme. Peut-être  jusqu’à  l’excès quand  on  regarde   son dernier  portrait   où  sa   représentation  est   manifestement  christique  .
 Pourtant l’homme  est loin  d’être  superficiel  Au contraire  tous  textes les siens  comme  ceux  de  ses  contemporains,  témoignent   d’une haute  valeur  morale  dans  ses  rapports  avec  sa  famille  ,  ses  amis et  le  monde  qu’il  côtoie  (  y compris   la  fidélité   à  ses protecteurs)  , d’une   préoccupation  constante   des  sujets  métaphysiques  ou  philosophiques ou  religieux  .,  ou  de  la  transmission   de  son  savoir  par  la  théorisation  de  ses  expériences    artistiques.
Dans  cette  ville  de  Nuremberg  il  acquiert  la  respectabilité   mais l’amertume  se  lit  à plusieurs  reprises   lorsqu’il  quitte  Venise  par  exemple    ,  lorsqu’il  publie  ses  traités  à  compte  d’auteur , lorsqu’il  se  réfugie  dans  son  moyen  d’expression , certes favori  mais secondaire  par  rapport  à la  peinture   où  sa liberté  d’expression  est limitée. , lorsqu’il    doit  donc à la  gravure   son   véritable   moyen  d’existence et  sa plus  grande    popularité.
Il n’est pas  surprenant    qu’alors  lorsque  le moment  se présente   ses  amitiés  le  fassent  pencher  en faveur  de  Luther  et  de  la nouvelle  cause.  Les  besoins  de  Réforme,  il  les ressent  dans son  quotidien .Il signe parfois  des manifestes , il entretient   ses  relations  avec  ses  amis   soutenant  leur   cause  mais  il  ne  deviendra  jamais luthérien , ennemi  de  ses protecteurs  .
Tiraillé  entre l’humanisme  d’Erasme  et  le  brutal revirement  luthérien , on  peut  concevoir  qu’il  fut  gagné  par le   doute .    Il  tente  d’y  échapper   dans un recours  à l’ésotérisme  ( alchimie , magie) comme  bien  des  savants  de  son  époque  . Son   esprit  scientifique lui  laisse  espérer  que  les clés  de  la   Vérité  comme  du   Beau  Idéal se  cachent  dans   les  sciences  …. Comme  il  espère  dans  l’enseignement de  Luther , la révélation  du   chemin  de  son  salut.
Mais  sa  vie  s’achève  dans une  résignation pessimiste  qu’on  peut lire  dans  une  de  ses  œuvres  majeures,  gravure  sur  cuivre : Mélancolie   I où  l’impuissance    à  trouver  l’idéal  de  la perfection  et  du  bonheur   semble être  la   destinée  de  l’homme  sur  terre , en  ce  monde   ou tout  n’est que  vanité   et  qu’il  traduit  par  une  accumulation  de  représentations  symbolistes des  espérances  humaines  vouées  à  l’échec. 

Délaissant peu  à  peu   la peinture, il  les  consacre ses  dernières  années  à l’écriture ,  à la  transmission  de  son  savoir   toujours  soucieux  de  la  place   qu’il  occupera  dans la  postérité  .

5 commentaires:

  1. et est-ce que tu connais lesite du jardin des délices ( deliciarum.info) ?

    il y a plein de choses et notamment sur les artistes allemands et de l'est de la France...

    voila le lien sur un beau, concernant Dürer

    http://www.deliciarum.info/26/11/2008/dessins-et-esquisses-d%E2%80%99albert-durer/

    -- également un bel ensemble sur M Schongauer

    --

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  2. et pour la morphologie humaine, j'ai lelivre ( édité par Dover), maisrien de scanné, par contre toujours au jardin desdélices, j'ai trouvé ce post significatif:

    http://www.deliciarum.info/28/02/2009/albrecht-durer-et-la-morphologie-humaine/

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  3. Merci pour les liens ; j'irai visiter ce soir . Mais tu ne me donnes pas ton avis personnel sur ce grand peintre ;-) Tu vois ce qui m'interesse particulièrement chez nos artistes (en plus de l'aspect artistique bien sûr ! ) c'est la manière dont ils s'inscrivent dans une époque .J'aime bien tirer un fil à partir de leurs oeuvres pour en lire les signes historiques . Bon quand on s'attaque à une période comme celle de la Réforme , c'est prendre quelques risques :D , Et c'est l'embarras du choix pour les textes et documents !!
    Merci pour tout !

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  4. Su si, j'aime beaucoup...

    en particulier les aquarelles, mais aussi la façon très méticuleuse de faire les portraits ...

    Je me souviens avoir vu quand j'étais étudiant un artiste fou furieux de Dürer, qui "continuait son oeuvre", à savoir d'autres portraits et personnages en pied, faits de la même façon, et avec la même technique... ... pointu, le monsieur..., c'ets un peu curieux parce que lui ne s'inscrit pas dans la même époque...

    et allait jusqu'à mettre son monogramme de la même façon.

    J'aime moins les gravures, comme je te l'ai dit je trouve ça trop chargé, et figé... même si techniquement ça correspond à un dessin très élaboré.
    Et puis les images à vocation "biblique", ce n'est pas vraiment mon truc... mais je suppose qu'avec les débuts de l'imprimerie, les gravures étaient sans doute des oeuvres de "commande"...

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  5. Comme on peut lire , en fait il vivait surtout de ses gravures , à son regret . Mais les mécènes étaient rares dans cette ville de Nuremberg et l'époque ne se prêtait pas vraiment à la liberté d'expression !
    Merci René, pour ton commentaire .

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