jeudi 29 décembre 2011

Equador Henri Michaux

 Ecuador  est le journal d'un voyage qu'Henri  Michaux  a  entrepris   à  travers les  Andes,  les montagnes  de  l'équateur et  les  forêts  du  Brésil  pour  arriver  , un  an plus tard à l'embouchure  de  l'Amazone. A l'époque  de ce voyage  épuisant , l'auteur n'avait pas encore trente ans,  n'avait  guère publié  que  des plaquettes et  avait  le  coeur   malade. Dans  ce récit publié  en 1929 , apparaisssent  déjà  ,  ponctués de  quelques uns  des  plus beaux  poèmes  d'  Henri  Michaux,,  ces célèbres  espaces du  dedans, dont l'exploration  donnera  par la suite  l'oeuvre  étonnante  que l'on  connait  . 

 Ecuador 

Journal  de  voyage



Dimanche  de  Noël  1927
Paris


Voilà deux ans  qu'il  a commencé  , ce  voyage.  On m'avait  dit : " Je t'emmènerai . "  Deux ans , une sorte  de  constipation et  maintenant ,  c'est pour mardi  matin.  Je  suis soumis  toute  la jouenée  à une sorte  de projection  à  distance.  On  cherche  mon  regard. Quel  effort il me  faut pour  revenir  à  m oi, et, combien "impur"  ce  retour,  comme   quand on  cède  à une image de  sexe dans la prière.

3 heures

Je n'ai  écrit  que  ce peu  qui   précède et  déjà  je tue  ce voyage.Je  le  croyais  si grand.  Non,  il   fera  des pages, c'est  tout.

Mardi.  Dans l'Etoile  du  Nord  , allant à  Amsterdam, ville  où je  dois m'embarquer   le  lendemain  à   bord  di  Boskoop à destination  de  Guayaquil (Equateur )  via  Panama.
17h301/2


Moi  j'avais l'air  d'un joueur malheureux. Cet  éclair  de   joie  dans l'oeil  de  mon ami  ! On a  fait ouvrir mes  bagages mais non  les siens.  La  douane, c'est  comme le jeu.  On  veut croire à l'intrervention des puissances  occultes.  Elles  auraient  dit  aux  douaniers..."Laissez-le, celui-là  est  un  homme  à  nous." Tandis  que de moi ... Que   pense-t-il  donc qu'elles  aient  dit ?  Peutêtre  simplement  qu'elles  se sont  tues à  mon  endroit...




Amsterdam,  mercredi  matin


Ah  ce  froid,  il  faut   s'envelopper  en  soi,  s'égaliser  plutôt  pour   y bien  résister.
Celui  qui  a  sa plus grande  force localisée  dans sa tête, le  coeur,  la poitrine  ,  les bras,  n'est pas  fait  pour  ce pays. Je n'ai   pas  assez de tenue  devant  ce  froid. Pas encore assez  homogène... - Et cette campagne  flamande d'hier !  On ne peut la  regarder  sans  douter  de  tout   . Ces maisons basses  qui  n'ont  pas osé un  étage vers le  ciel ,  puis tout  à  coup file  en  l'air un haut  clocher  d'église,  comme s'il n'y  avait  que   ça  en l'homme   qui  pût  monter, qui   ait  sa chance en   hauteur.
Et  maintenant  ,écrire à   I,P,H,...donner  du  mangeable à  chacun.
Bonsoir ,  bonsoir   messieurs  .


A bord  du  Boskoop  en  mer

Voyons,  trente ou  trente et un  jours en   décembre?  Est-ce  depuis  deux ou  trois jours  qu'on est  en mer?  Dans l'anticalendrier  de la mer ? Pauvre  journa ! D'ailleurs  ce qui  s'est passé  tout   à  l'heure  je ne le dirai pas. Mieux vaut lui  couper tout  de  suite  son  avenir.

4ème jour  de   mer  
16 heures.
 Etre  seul  navire,  très insolent et  superbe sur le  grand  désert  d'eau... Le  vent   vient à  toute  vitesse  sur mon peu  de  cheveux qu'il  secoue,  puis  repart à toute  vitesse et  moi je  reste  sur le pont.  Vient  encore ce vent  contre ma tête,  repart   à  toute  vitesse , et   Dieu  sait  quand il  rencontrera  encore un  front et  de qui  pourrait  bien  être  ce  front  et ce qu'on pourrait  avoir  à  dire  de nos deux  fronts comparés. O navire-orgueil,  Ôcapitaine-orgueil, passagers-orueil, vous qui  ne vous mettez pas  de plain-pied avec la mer...sauf  toutefois  au jour  du naufrage...Ah,  alors..enfin il s'enfonce ,  le navire, avec  son  jeu  complet de mâts  et  s  cheminée.


[...]
A 2 heures p.m.


Le moteur  s'est  arrêté. On  a  été pris dans les lames.  On  a  été bord  sur bord,  à  croire qu'on  allait  être  renversé. Les officiers  étaient  inquiets. Moi,  ça m'a  remis  tout à  fait. Très bien  , Atlantique, tu sais  secouer , et  te  montrer  grand  .


*
Je viens  de jouer... comme  ça  dilate...Excellent contre la pétrification qui  est  tout l'écrivain.
Il  y  a quelques minutes,  j'étais large. Mais   écrire, écrire : tuer,  quoi.


*
Mais où est  -il  donc ce  voyage  ?


*

Dans nos bagages rien  que  des livres  modernes  et non choisis.
Cette  bande  d'impressionnistes...écrivant genre  d'étincelles,  ou  genre  enveloppement humide, ou  genre  travaux  d'aiguilles... Ce  style  à  trace  d'images,  à  trace  de merveilles,  à  trace  d'émotion ,  à  trace  de miracles,  à  trace  de génie,  à  trace  d'humeur,  à  trace  d'études  , à  traces  de tout. Un  insuppportable  bazar où  l'on ne  trouve pas de pain.

Et  ce  voyage  , mais  où est-il  ce  voyage ?

[...]

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