samedi 22 octobre 2011



Septième Elégie

Ta voix , qu'elle  ne soit plus  pour nous séduire,
Qu'elle  ne soit plus un appel ,
mais simplement  cette voix trop  adulte.
Certes  ton  cri  était pur
Comme celui de l'oiseauque soulève la saison,
oubliant presque  dans l'envol qu'il  n'était plus qu'une bête  asservie,
et non pas  ce coeur  unique qu'elle lance à  l'allégresse des  ciels plus amples.
Comme  lui  tu  appellerais pour que l'amie
encore invisible,- la silencieuse- te  découvrît.
Doucement  s'éveillerait  en  elle la réponse
à laquelle  ton  attente donnerait  sa chaleur.
Un coeur  ardent pour tout ce que tu  ressens  avec  audace.
Et le printemps te comprendrait,
puisqu'il n'y a  point de lieu qui  ne porte le chant annonciateur.
D'abord cette  voix  frêle  qui  interroge
et qu'entoure largement  de son silence grandissant
la clarté d'un jour   approbateur. Ensuite,
gravissant les marches, vers le temple rêvé de l'avenir,
le trille :  fontaine qui  de ses éclairs devance  la chute, 
ah le jeu  des promesses .. 
Et devant  soi l'été. 
Non  seulement  tous les matins de l'été,
non seulement   lorsqu'ils  se changent en  jour,
encore rayonnant  de naître.
Non seulement  les jours si  tendres pour les fleurs,
-ces jours qui  à  hauteur d'arbres deviennent  violents -
mais le  recueillement  des de ces forces déployées.
Non seulement  des chemins, des prairies au  soir,
cette  clarté  qu'on  sent respirer après l'orage tardif;
non seulement   l'approche  du  sommeil et  ce pressentiment,
les soir...
Mais les nuits !  Les hautes nuits d'été, les étoiles,
étoiles de la terre.
Etre  mort un  jour et les connaître sans  fin ,
toutes les étoiles,  car ,  - oh  comment,
comment les oublier !
Vois , c'est  alors que j'appellerais  l'amante.
Mais elle ne viendrait pas seule.
Sorties de leurs tombeaux fragiles, des jeunes  fillles
viendraient;
Elles seraient là  devant moi...Car l'appele lancé,
comment en  limiterais-je le cours ?
Les engloutis cherchent encore la terre.
Pourtant une fois  saisie, une chose terrestre
pourrait bien  être plantée en  d'autres mondes.
Ne croyez pas que le  destin est  plus que cette  densité 
de l'enfance
combien  de  fois ne  dépassiez-vous  pas le bien  aimé,
Rien  qu'en  respirant !
Comme  on respire au  bout d'une course joyeuse qui  n'avait pour  but que le  large.
Etre   ici  est magnifique
Jeunes filles ,  vous le  saviez ! Vous aussi.
Vous qui  aviez  été   privées  en  apparence,
noyées,dans les pires ruelles des villes,
ouvertes à  la déchéance, suppurantes..
Car  chacune avait une heure,peutêtre pas tout à  fait ,
-intervalle  à  peine  accessible à  nos mesures..
où elle  avait  sa pleine  existence.
Tout . Les artères remplies d'existence.
Seulement  ,  nous oublions très vite  tout  ce que  le  voisin en  riant
  ne nous confirme ou  envie.
Nous voulons qu'aux yux de tous  éclate notre bonheur,
mais le bonheur le plus évident ne se laisse reconnaître
Que transfiguré au  fond  de nous mêmes.

Nulle part ,  ô bien  aimée, le monde
ne  sera comme à l'intérieur  de nous-mêmes
Notre vie  s'use en  transfigurations.
Et  de plus en   plus mince , le  dehors disparait .
Là  où jadis il  y eut une maison durable,
Voici une image  tout à  fait du  domaine  des idées,
comme si  elle  n'avait pas encore quitté le cerveau.
L'époque  se  crée de  vastes entrepôts de  forces,
informes, comme l'impulsion mal  contenue qu'il  puise dans les choses.
Il  ne connait plus les temples. Cette prodigalité du  coeur
nous devons la  garder en  secret.
Oui  là  où survit une chose  que jadis on  a  servie, adorée
à genoux, la voici qui  se tient  là du côté de l'invisible .
Nombreux sont  ceux qui ne la regarde même  plus
sans pouvoir cependant la reconstruire plus vaste à  l'intérieur.
avec statues et colonnes.
Chaque  conversion  du  monde connait
ces déshérités qui ont perdu leur passé  et n'ont point
de part   en  ce qui est  à venir.
Car même le plus proche  est  distant pour les hommes.
Mais nous,  au  lieu  d'en être  troublés,
ayons le courage  d'affermir  la forme  de   ce qui  est encore reconnu.
Celà se tenait u  jour parmi les hommes,
debout au   milieu  du  destin exterminateur,
au coeur de  "ne- plus- savoir- le- chemin".
Celà semblait existé   et les étoiles
 d'un  ciel  très assuré se penchaient par-dessus.
Ange, je te le montre encore,  le voici,
qu'il  soit enfin  sauvé dans ton  regard,
enfin  redressé. Colonnes,  piliers,
le sphynx, la cathédrale,- l'élan  d'arc-bouté d'une cathédrale,
grise au  milieu  d'une ville périssante ou étrangère.
N'étai-ce point miracle ?
Admire ,  ô  Ange,
car  c'est de nous qu'il  s'agit, raconte
ce que nous vons osé ; mon  propre  souffle  est trop  faible pour louer.
Ainsi,  malgré tout, nous n'avons pas manqué aux  espaces,
à ces espaces prometteurs,  les  nôtres.
(Comme ils doivent  être vastes,  terriblement,
pour que des millénaires de nos sentiments n'arrivent  pas à  les déborder !)

Cependant une tour  était grande, n'est-ce pas ?
Elle  l'était ô  Ange, grande même  à  côté de toi.
Chartres était  grand -et la musique
allait  au- delà  encore  , elle nous dépassait.
Et même une amante , oh,à  elle-seule
dans la fenêtre nocturne...
Ne t'arrivait-elle pas aux genoux ?
Ne crois pas que je plaide ma cause. Et même
si  je réussissais Ange,  tu  ne viendrais pas.
Mon  appel  sonne toujours le  départ,
et  tu  ne saurais franchir un tel  courant.
Comme un  bras tendu  est mon appel,
et la main ,  en   haut,  ouverte pour  saisir,
reste ouverte  devant toi , comme une défense ou un avertissement.
Insaisissable  ,  au  loin .

Rainer   Maria Rilke  ,Elégies  de Duino

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